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  • Par NK

Rencontre avec les Luchrones

La première fois que je me suis retrouvé nez à nez avec un Luchrone je ne savais pas que ça en était un. C'était il y a environ cinq ans sur le parvis de la gare de Bourges. J'étais assis sur un banc à attendre qu'on vienne me chercher en voiture de Montluçon car j'avais rater ma correspondance. Il mesurait environ 7m de haut et était de forme cubique. A l'intérieur, des centaines de points lumineux s'éteignaient et s'allumaient suivant des motifs rythmiques et des variations d'intensité dont la complexité ne pouvait être que le fruit d'une véritable démarche intelligente et artistique. Ce qui m'a le plus subjugué, c'était que pendant l'heure et demie durant laquelle j'ai pu l'observer, j'ai constaté qu'il n'y avait pas eu la moindre répétition d'aucun de ces motifs, qu'à chaque fois c'en était un nouveau qui apparaissait, différent de tous les précédents. J'étais fasciné. Le spectacle qui s'offrait à mes yeux était une symphonie silencieuse.

Par chance, à cette période je prenais mon appareil photo avec moi lorsque je voyageais et j'ai donc pu le photographier et le filmer. Il se prenomait Charlie.

Charlie (1986) - Bourges - Place de la Gare

Photo : NK

Ce n'est que deux ou trois ans plus tard que j'ai appris que ce que j'avais vu à Bourges était un Luchrone. En tournée dans la ville de Toulouse et ayant une journée off à tuer, je me promenais au hasard dans les ruelles de la ville rose quand je suis passé devant une galerie d'art contemporain dont la vitrine et la porte déjà ouverte laissaient entrevoir quelques tableaux qui me paraissaient plutôt originaux. Étant donné que je rate rarement ce genre d'occasion de me confronter à l'art contemporain, je suis entré. Le propriétaire était là et semblait plutôt réjoui de l'arrivée d'un visiteur. Après avoir fait le tour des tableaux exposés qui étaient l’œuvre d'un peintre brésilien dont j'ai aujourd'hui oublié le nom et qui s'avéraient beaucoup moins intéressants de près que de loin, mon attention fut retenue par une petite structure lumineuse d'environ cinquante centimètres de haut tout au fond de la galerie. Devant mon intérêt, le galeriste m'accompagna et commença à m'expliquer que cette sculpture nommée "Luchrone" était l'oeuvre de l'artiste Alain Le Boucher, et que si celui-ci était d'un petit format il en existait aussi des monumentaux, notamment à Reims au milieu du rond-point de la place de la République, ainsi qu'un autre à Bourges, sur la place de la gare...


Ce qui m'a fasciné à l'époque était cette forme d'intelligence - et donc de vie - qui habitait cet objet. La recherche de Alain Le Boucher se situait autant sur l'aspect esthétique de la sculpture, avec la mise en espace parfaite des réseaux de centaines de petites lampes, que sur le programme informatique qui gérait leur gradation. les motifs lumineux étaient en étroite symbiose avec la structure de l'objet et gardaient aussi un aspect aléatoire et inattendu qui créait à chaque instant la surprise et l'émerveillement. Le galeriste de Toulouse m'avait dit que le Luchrone pouvait fonctionner plus d'un an sans jamais reproduire deux fois le même motif. Je n'ai jamais pu vérifier cette information, mais toujours est-il que pendant l'heure où je suis resté à discuter avec lui, au moins ce fut le cas !

Devonian Dream (2010) - Alain le Boucher

60x60x9 sur socle


De nos jours la multiplication des diodes électroluminescentes (LED) dans notre entourage et des technologies qui permettent de les commander, notamment dans le spectacle vivant avec les média serveurs qui gèrent la diffusion d'images animées sur des rideaux entiers de LEDs (voir par exemple la scénographie des concerts de Radiohead sur la tournée In Rainbows), on pourrait à juste titre se dire que les œuvres de Alain Le Boucher ont pris un léger coup de vieux. Mais pour en avoir vus en vrai, je trouve personnellement que ces objets gardent un pouvoir attractif fascinant et resteront pour moi, avec leur imprévisibilité ainsi que leur esthétisme organique et ordonné, admirablement hors du temps.


Pour aller plus loin : les luchrones sur le site de Alain Le Boucher


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